24 Heures Montréal e-edition

La tempête parfaite qui a fait décliner l’info papier

Gabriel Ouimet 24 heures – Avec Camille Dauphinais-pelletier

Depuis une vingtaine d’années, le nombre de journaux papier publiés au Québec a fortement décliné. Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec, Le Devoir, la Montreal Gazette et le Record sont les seuls à imprimer des éditions quotidiennes, alors qu’en 2011, il y avait 14 quotidiens imprimés. Plusieurs ont depuis décidé de passer à une formule hebdomadaire, notamment la famille des quotidiens régionaux des Coops de l’information. D’autres, comme La Presse, ont cessé le papier et misent uniquement sur le format numérique. Voici comment s’est orchestrée la transition des supports ici et un peu partout dans le monde.

À la fin des années 1990, il y a à peine plus d’une vingtaine d’années, les journaux imprimés étaient considérés comme les pierres angulaires de l’information. Les lecteurs étaient nombreux et les publicités diffusées dans les pages des principaux médias rapportaient des sommes colossales aux propriétaires.

« Avant l’arrivée d’internet, les revenus publicitaires étaient énormes, les médias imprimaient carrément de l’argent », illustre le directeur du programme de journalisme à l’université du Québec à Montréal, Patrick White.

Oui, quelques personnes avaient des abonnements internet dès le milieu des années 1990, et les principaux médias écrits, dont Le Journal de Montréal, La

Presse et Le Devoir avaient lancé leur propre site web, mais le papier restait de loin leur vaisseau amiral.

Au cours des années 2000, quand Facebook, Google et Twitter ont fait leur apparition et sont venus modifier la façon dont l’information était structurée sur internet, l’industrie médiatique ne s’en est pas méfiée, observe Patrick White. « Les décideurs n’y ont vu qu’un effet de mode », indique-t-il.

« Les médias n’ont pas sauté à pieds joints là-dedans, ils n’ont pas vu le modèle d’affaires, donc ils ont complètement manqué le bateau. C’est seulement vers 2010-2011 que les choses ont commencé à bouger dans les médias québécois en matière d’utilisation des réseaux sociaux. Donc ça a été très, très long », poursuit-il.

Pendant ce temps, les habitudes de consommation des lecteurs ont changé, surtout chez les jeunes. Aujourd’hui, un tiers (33 %) des adultes québécois s’informent principalement sur les réseaux sociaux, une proportion qui grimpe à 50 % chez les 25 à 34 ans et à 67 % chez ceux âgés de 18 à 24 ans, selon les résultats d’une enquête publiée le 1er juin 2022 par l’académie de la transformation numérique de l’université Laval.

DOUBLE PROBLÈME

On s’est donc graduellement retrouvé avec un double problème dans les médias en ce qui a trait aux revenus.

Le premier était du côté des abonnements: les lecteurs étaient de moins en moins nombreux à prendre des abonnements papier payants, puisque la plupart des nouvelles étaient accessibles gratuitement sur internet.

Il fallait donc que les médias se fient davantage aux revenus publicitaires, qui se sont mis à migrer vers le web. Et on arrive là au deuxième problème: les revenus de publicité en ligne ne se sont pas tous retrouvés à aller aux médias qui produisent du contenu sur leurs sites, loin de là.

« La publicité a principalement migré du côté de Google et Facebook, qui vont chercher plus de 80 % des revenus de la publicité en ligne. Donc ça fait en sorte que tout le modèle d’affaires des médias s’est écroulé », explique l’ancien directeur de l’information francophone à Radio-canada Alain Saulnier.

Facebook et Google ont d’ailleurs généré environ 280 millions de dollars en revenus publicitaires avec le contenu journalistique des médias canadiens en 2020, selon les estimations de Jean-hugues Roy, professeur à l’école des médias de l’université du Québec à Montréal.

Leurs revenus étant à la baisse, plusieurs médias ont choisi de couper leurs éditions papier, qu’ils jugeaient chères à produire et à distribuer.

D’autres ont opté pour une stratégie différente et ont décidé de conserver leurs éditions papier comme produit principal, en exploitant les avantages de cette méthode, notamment en misant sur la publication de cartes, de tableaux ou encore de cahiers à conserver.

Après tout, ce support reste important pour une grande portion du lectorat, qui apprécie le contact avec un produit physique, qui permet d’accéder à l’actualité sans avoir à passer par un écran et une connexion internet.

IL Y A DE L’ESPOIR

Il faut noter que le déclin global du papier ne sonne pas la fin du journalisme, puisque les nouveaux formats numériques, comme les textes, les vidéos et les balados diffusés sur le web et les réseaux sociaux permettent aussi de transmettre de l’information de qualité.

Le gouvernement canadien a d’ailleurs l’intention de forcer les géants du web à partager les revenus publicitaires générés par ces contenus.

Le projet de loi C-18, qui est actuellement analysé par le Sénat, pourrait bientôt donner naissance à une loi qui les obligerait à négocier des ententes dans le but de dédommager les médias canadiens s’ils veulent continuer de republier leur contenu sur leurs plateformes, ou encore pour offrir des liens qui y mènent.

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2023-03-23T07:00:00.0000000Z

2023-03-23T07:00:00.0000000Z

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