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La « soupe toxique » de Limoilou, le quartier sacrifié

Anne-sophie Poiré

Les citoyens de Limoilou meurent prématurément et sont moins bien nantis que la moyenne québécoise. Dans ce « quartier sacrifié », ils cohabitent avec cinq industries polluantes et sont condamnés à respirer ce qu’ils appellent la « soupe toxique ».

Dans ce quartier de la basse-ville de Québec enclavé par trois autoroutes, la présence de cinq industries polluantes se fait sentir : un incinérateur, une entreprise de récupération de métaux, une papetière, une entreprise de fabrication de papiers fins et – surtout – le Port de Québec où le transbordement de nickel se fait sans couvert.

Les résidents respirent un air sept fois plus pollué en nickel qu’ailleurs au Canada, sans parler des autres contaminants, selon les chiffres récoltés par le Programme du Réseau national de surveillance de la pollution atmosphérique d’environnement Canada, et compilés par l’initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec.

Ils l’appellent la « soupe toxique limoiloise ».

MALADE EN CONTINU

À son arrivée dans le quartier en 2010, Véronique Lalande s’est vite rendu compte que quelque chose clochait.

« Je suis une personne asthmatique avec un fort potentiel d’allergie. J’avais des symptômes chroniques : yeux et gorge qui piquent, crises d’eczéma. J’étais malade en continu, et mon fils commençait à l’être aussi », raconte-t-elle.

Six ans plus tard, elle a pris la décision de déménager « seulement et seulement pour ça ».

« C’est difficile de vivre dans un milieu où il y a une agression constante sur notre santé et notre qualité de vie, fait-elle valoir. On ne peut pas prendre une pause pour respirer. »

Elle est aujourd’hui derrière l’initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec, un regroupement de citoyens qui s’est donné comme mission de colliger et diffuser l’information sur les impacts environnementaux des activités industrielles au Port de Québec.

Dans le secteur, les diagnostics de maladies pulmonaires chroniques sont 1,5 fois plus élevés que partout au Québec, selon les données de santé publique de la Capitale-nationale.

En fait, l’espérance de vie y est carrément plus courte qu’ailleurs. Les gens y vivent quatre ans de moins que dans l’ensemble de la province, avec une mortalité prématurée près de deux fois plus fréquente.

Malgré ces données préoccupantes, le ministre de l’environnement, Benoit Charette, a accepté de hausser, le 28 avril dernier, la norme quotidienne d’émission de particules de nickel. Celleci est passée de 14 nanogrammes par mètre cube (ng/m3) à 70 ng/m3, ainsi qu’à 20 ng/m3 annuellement.

C’est près de sept fois la limite annuelle recommandée par l’organisation mondiale de la santé (OMS) pour le type de nickel retrouvé dans l’air à Québec, la pentlandite, qui est associée à des cancers pulmonaires.

Cette décision a été dénoncée par les 18 directions régionales de santé publique du Québec, le Collège des médecins, l’association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME) et les partis d’opposition, entre autres.

« La question du nickel à Québec est un exemple assez classique d’un quartier où habitent des gens vulnérables déjà exposés à un cocktail de contaminants chimiques, où il y a une plus haute proportion de maladies du poumon et de maladies cardiaques et où une décision prise pour encourager des industries qui ne paient même pas pour leur pollution va aggraver leur fardeau environnemental », explique la présidente de L’AQME, la Dre Claudel Pétrin-desrosiers.

UNE POLITIQUE DISCRIMINATOIRE

Dans Limoilou–basse-ville–vanier, tout le secteur touché par la mauvaise qualité de l’air, le revenu médian est 33 % plus bas que celui de l’ensemble du Québec. Il y a trois fois plus de prestataires de l’aide sociale et près de deux fois plus de familles vivant avec un faible revenu.

Le taux de décrochage scolaire au secondaire et la proportion d’enfants vulnérables à la maternelle sont significativement plus élevés que ceux de l’ensemble du Québec.

« On est devant une situation d’injustice profonde », laisse tomber Véronique Lalande, qui s’avoue privilégiée d’avoir pu changer de quartier. « Beaucoup de citoyens de Limoilou n’ont pas les capacités de combattre ou d’aller ailleurs pour fuir le problème. »

Le président du Conseil de quartier du Vieux-limoilou, Raymond Poirier, parle quant à lui d’une « zone sacrifiée ».

« On a cantonné des communautés vulnérables dans un quartier où l’air est considéré comme saturé en polluants par l’agence canadienne d’évaluation environnementale. La situation était déjà grave. »

« J’avais des symptômes chroniques : yeux et gorge qui piquent, crises d’eczéma. J’étais malade en continu, et mon fils commençait à l’être aussi. »

– Véronique Lalande qui a habité Limoilou pendans 6 ans

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2022-06-30T07:00:00.0000000Z

2022-06-30T07:00:00.0000000Z

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