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Voici pourquoi la Russie condamne à mort des prisonniers de guerre

Gabriel Ouimet

Deux soldats britanniques et un soldat marocain ont été condamnés à mort après avoir été faits prisonniers par la Russie en Ukraine. Des condamnations qui vont à l’encontre du droit international et qui montrent que la Russie est prête à se servir des prisonniers de guerre comme arme politique.

Après avoir été capturés alors qu’ils combattaient au sein de l’armée ukrainienne à Marioupol et dans la région du Donbass, les Britanniques Aiden Aslin et Shaun Pinner, ainsi que le Marocain Brahim Saadoun, ont été condamnés à mort par un tribunal de la République populaire de Donetsk (RPD), une région prorusse de l’est ukrainien, le 9 juin dernier.

Denis Pouchiline, le dirigeant de la RPD, a défendu leur condamnation en affirmant que « les accusés sont venus en Ukraine pour tuer des civils contre de l’argent », excluant toute possibilité de pardon.

Une condamnation qui ne tient pas la route, affirme Maria Popova, professeure associée de science politique à l’université Mcgill.

« Le processus de la RPD contre les combattants étrangers est une imposture qui ne respecte pas les normes juridiques de base. Ce sont des procès purement politiques », dit-elle. Plusieurs observateurs britanniques ont également dénoncé « un procès spectacle dégoûtant de l’ère soviétique ».

Prisonniers de guerre ou mercenaires ?

Théoriquement, les prisonniers de guerre sont protégés par les Conventions de Genève, qui interdisent toutes formes de maltraitance à leur endroit. Mais en qualifiant ces soldats de mercenaires, les autorités de Donetsk leur refusent le statut de prisonnier de guerre, puisque cette catégorie de combattants ne bénéficie pas de la même protection.

Les Conventions définissent les mercenaires comme des personnes qui s’impliquent directement dans le conflit dans le but « d’obtenir un avantage personnel », dont la rémunération est « nettement supérieure à celle octroyée aux combattants ou soldats ». Les Conventions précisent finalement que ces personnes, les mercenaires, ne peuvent pas « être ressortissantes d’une partie au conflit ni résidentes du territoire contrôlé par une partie ».

Les familles des prisonniers ont cependant précisé à L’AFP que les jeunes hommes ne correspondent pas à cette définition. Brahim Saadoun aurait, selon ses proches, obtenu sa nationalité ukrainienne avant de rejoindre l’armée, tandis que Shaun Pinner et Aiden Aslin seraient membres de la marine nationale, en plus d’être installés au pays depuis plusieurs années et d’être mariés à des Ukrainiennes.

Monnaie d’échange de la propagande

Pour Maria Popova, ces condamnations feraient partie d’une nouvelle tentative des autorités russes d’influencer la perception de la guerre en Ukraine.

Il faut d’abord savoir que n’est pas la République populaire de Donetsk qui condamne à mort trois prisonniers, mais bien Moscou, qui contrôle ce territoire, même si elle le qualifie publiquement de « république indépendante » de la Russie.

« Les entités du Donbas ne sont pas des “autorités séparatistes prorusses” indépendantes. Elles sont entièrement contrôlées par Moscou et ont, en fait, été créées par Moscou en 2014. Ce sont des “mandataires russes”. Les actions de leurs institutions sont entièrement coordonnées avec le gouvernement russe », explique la professeure.

Il faut aussi souligner que la Russie martèle que ses soldats sont en Ukraine afin de protéger et de sauver la population civile. En accusant ainsi les soldats ukrainiens d’avoir orchestré les meurtres de civils et en les faisant juger par un tribunal « indépendant », la Russie tenterait de crédibiliser sa propagande et de légitimer ses actions en sol ukrainien, estime Mme Popova.

« C’est une tentative d’établir une équivalence entre les actions de l’armée russe en Ukraine et les actions défensives de l’armée ukrainienne, dit-elle. Mais l’ukraine se défend contre une invasion illégale de la Russie, et les tribunaux du pays jugent les soldats russes en vertu des lois de la guerre existantes, tandis que les poursuites engagées en DPR sont des procès politiques sans base juridique », analyse-t-elle.

La Russie viserait finalement à se servir de ces condamnations comme « monnaie d’échange », alors que trois de ses soldats ont déjà été condamnés à la prison à vie pour crime de guerre et que des dizaines d’autres sont en attente de procès.

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2022-06-30T07:00:00.0000000Z

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